À quel point les entreprises suisses sont-elles méritocratiques ?

La mise en œuvre d’une véritable méritocratie dépend de nombreux principes et pratiques regroupés sous le terme de « DEI ». Une méritocratie inclusive est plus importante que jamais, compte tenu de nos défis démographiques. Mais pourquoi ?

 

Créer l’accès pour toutes et tous permet aux entreprises de recruter les meilleurs talents

Pour identifier les meilleur·e·x·s candidat·e·x·s, les entreprises doivent avoir accès au plus large vivier possible de candidat·e·x·s possédant des compétences et des perspectives variées. Si la diversité n’est pas intégrée à la stratégie de recrutement, entreprises se retrouveront clairement désavantagées.

  • On ne peut recruter les meilleur·e·x·s que si l’on peut les atteindre. Les organisations ne peuvent pas interviewer celles et ceux qui ne postulent pas. Les pratiques DEI peuvent encourager des candidat·e·x·s qualifié·e·x·s mais hésitant·e·x·s à postuler aux offres, même s’ils ou elles pensent ne pas répondre à toutes les qualifications exigées (Mohr, 2014 ; Lischwe et al., 2024). Parallèlement, les responsables du recrutement doivent posséder les compétences nécessaires pour reconnaître le potentiel des talents divers. Les leaders inclusifs (conscients de leurs propres biais concernant le mérite et comprenant l’importance de prendre des décisions transparentes et basées sur des critères) sont plus susceptibles de repenser et de reformuler les descriptions de poste afin de préciser ou d’élargir les connaissances, compétences, aptitudes et autres caractéristiques considérées comme méritantes (Nishii & Leroy, 2022).

Les entreprises n’exploitent pas pleinement leur vivier de talents externe

Prétendre recruter ou promouvoir les «meilleur·e·x·s » n’a de sens que si l’on peut accéder au vivier de talents le plus large possible et s’appuyer sur l’objectivité et l’égalité des chances.

Les entreprises n’exploitent pas complètement le vivier de talents externe. Par exemple, alors que les femmes représentent 46 % des postes non-cadre — et 47 % de l’ensemble de la population active en Suisse (OFS, 2024x) — leur part dans les recrutements au niveau de cadres de base/inférieur n’est que de 39 %.

La sous-utilisation des talents féminins en matière de recrutement devient encore plus flagrante lorsque l’on examine les embauches dans les postes de cadre par genre et par âge. Après 30 ans, la part des femmes parmi les recrutements en management diminue de plus en plus. En d’autres termes : les entreprises ne parviennent pas à exploiter l’ensemble du vivier de talents lorsqu’il s’agit de recruter.

Recrutements au niveau de cadre par genre et âge

Des preuves issues de CV identiques montrent que le recrutement n’est pas méritocratique

Une étude sur le comportement de recrutement sur une grande plateforme d’emploi suisse montre clairement que : les recruteur·e·x·s ont tendance à repérer le talent et le potentiel là où ils s’attendent à en trouver — un biais (Hangartner et al., 2021). Par exemple, les taux de contact par les recruteur·e·x·s sont de 4 à 19 % plus faibles pour les personnes issues de l’immigration ou de minorités ethniques, selon leur pays d’origine, que pour les citoyen·ne·x·s du groupe majoritaire. Les femmes subissent une pénalité de 7% dans les professions majoritairement masculines, tandis que le schéma inverse apparaît pour les hommes dans les professions dominées par les femmes (Ibid).

Des processus et critères équitables et transparents garantissent que l’on promeut et soutient ceux et celles qui le méritent le plus

  • Sans processus équitables, il est peu probable que les entreprises soutiennent, défendent et sélectionnent les candidat·e·x·s le·s plus qualifié·e·x·s (Bohnet, 2016).
  • En l’absence de gestion équitable des talents, les recrutements qualifiés issus de minorités pourraient ne pas bénéficier des mêmes opportunités de carrière et de soutien que leurs pairs. Cela résulte souvent de politiques organisationnelles qui ne remettent pas en cause les biais et préjugés intégrés de manière implicite dans la vie organisationnelle (voir, par exemple, Alston, 2023).
  • Bien que les cadres disposent d’une grande latitude pour évaluer les employé·e·x·s, leurs évaluations sont souvent influencées par leurs propres biais. Plus précisément, les cadres ont tendance à interpréter le « mérite » de différentes manières, utilisant fréquemment leurs propres caractéristiques personnelles comme référence pour l’évaluation (Castilla & Ranganathan, 2020). Cette approche problématique signifie que les employé·e·x·s peuvent être jugé·e·x·s en fonction de leur ressemblance avec le/la cadre et de son instinct plutôt que sur leurs réalisations réelles mesurées selon des standards organisationnels objectifs et convenus (Strauss et al., 2010).

En matière de promotions, la méritocratie est déjà rompue dès le premier échelon.

Le premier échelon de promotion, allant d’employé·e·x sans fonction de cadre vers le niveau de cadre de base/inférieur, est un point intéressant pour évaluer si la méritocratie est en vigueur. Dans les postes non-cadres, la représentation des genres est proche de 50:50, et le premier niveau de promotion est souvent atteint plus tôt dans la vie professionnelle, dans les tranches d’âge les plus jeunes, où les différents genres sont les plus égaux en termes d’expérience, de niveau d’éducation et de taux d’activité. En fait, les femmes dépassent les hommes dans le groupe des moins de 35 ans en ce qui concerne les diplômes tertiaires, ce qui aura des effets significatifs sur la main-d’œuvre dans les années à venir (OFS, 2025).

Avec un tel terrain de jeu équilibré, on s’attendrait à ce que les taux de promotion reflètent le potentiel du vivier de talents, indiquant que les promotions sont méritocratiques. Cependant, les taux de promotion des femmes dans la plupart des secteurs restent bien inférieurs au potentiel du vivier de talents – c.-à-d., ils ne sont probablement pas méritocratiques.

Développement interne du vivier de talents, des postes non-cadres à cadre de base/inférieur – par secteur

Dans l’échantillon global et dans six des neuf secteurs, le pourcentage de femmes parmi les promotions vers le niveau de cadre de base/inférieur est inférieur à leur part dans les postes non-cadres. Les écarts les plus importants se trouvent dans le secteur public (17 points de pourcentage), le consulting (15 points de pourcentage), le secteur des banques (11 points de pourcentage) et de la santé (9 points de pourcentage). Les secteurs pharmaceutique/med-tech et l’industrie tech pratiquent des promotions équitables. Dans le secteur des TIC et médias, le pourcentage de femmes parmi les promotions est même supérieur à leur part dans les postes non-cadres.

Le travail à temps partiel inférieur à 80 % est un obstacle au mérite

Un autre exemple montre clairement que le monde des affaires actuel n’est pas méritocratique : les employé·e·x·s travaillant moins de 80 % ont moins de chances d’être promu·e·x·s. En d’autres termes, le système ne reconnaît pas la performance et l’impact au-delà des heures effectuées, et la présence est encore perçue comme équivalente à la performance.

Développement interne du vivier de talents selon le taux d’activité

L’écart significatif entre les genres travaillant à temps partiel de 27 points de pourcentage dans l’échantillon analysé pour ce rapport (43 % des femmes et 16 % des hommes travaillent à temps partiel) montre comment le système actuel de mérite désavantage les femmes, principalement parce qu’il favorise les postes à temps plein. L’OCDE note un écart de 30 points de pourcentage entre les genres pour le travail à temps partiel en Suisse, soit le deuxième plus élevé d’Europe (OCDE, 2025). Cette situation néglige également la valeur du travail non rémunéré, plus fréquent chez les femmes, qui continuent d’assumer la majeure partie des responsabilités de soins en Suisse. En moyenne, les femmes consacrent 12,1 heures de plus par semaine au travail non rémunéré que les hommes (OFS, 2025x).

La règle (non écrite) selon laquelle il faut travailler à (presque) temps plein pour être perçu comme méritant d’une promotion et d’une progression de carrière demeure un obstacle, principalement pour les femmes.

La réalisation d’une véritable méritocratie restera illusoire tant que les hommes et les femmes devront évoluer dans des conditions inégales concernant la conciliation travail-vie personnelle.

« Alors que des termes comme diversité, inclusion et flexibilité sont souvent mis en avant, les problèmes structurels plus profonds sont rarement abordés. Par exemple, la culture de la compétition acharnée ou la dépendance systémique au travail non rémunéré pour soutenir la vie familiale sont rarement remises en question. D’après mon expérience, la culture en entreprise est façonnée bien davantage par les hiérarchies et la compétition que par la participation ou le souci des autres. » – Participant·e·x à l’enquête Workplace Culture Survey, 2025

L’âge reste un critère implicite de mérite

Lorsque l’« âge approprié » est perçu comme un signe de mérite, les talents « meilleurs » peuvent être négligés.

L’examen des promotions par tranche d’âge montre que les groupes 31-40 ans et 41-50 ans sont surreprésentés parmi les promotions vers le niveau de cadre de base/inférieur et le niveau de cadre intermédiaire/supérieur, par rapport à leur part dans le vivier de talents : les employé·e·x·s de 31 à 40 ans ne représentent que 25 % des employé·e·x·s non-cadre, mais bénéficient de 46 % des promotions vers les cadres de base/inférieur. Le groupe 41-50 ans représente 30 % des cadres de base/inférieur, mais 44 % des promotions vers les niveaux de cadre intermédiaire/supérieur.

Parcours de développement du vivier de talents par tranche d’âge

Investir et accompagner les talents relativement tôt dans leur parcours professionnel a du sens pour une organisation, car elle peut en attendre un retour sur investissement à long terme. L’expérience professionnelle est souvent un facteur, mais elle n’évolue pas toujours de manière linéaire avec l’âge. Certaines personnes font leur service militaire pendant quelques années, d’autres prennent du temps pour voyager, et d’autres travaillent à temps partiel en raison de responsabilités familiales, d’un engagement politique ou de travaux bénévoles. Par conséquent, attendre ou repérer les « meilleurs » talents dans certaines tranches d’âge constitue également un biais qui peut empêcher de trouver la « meilleure personne pour le poste ». Il peut s’agir, par exemple, d’une femme de plus de 50 ans qui a fait une pause dans sa carrière et dont l’évolution professionnelle est donc plus lente que celle de ses pairs masculins, ou d’un jeune talent de moins de 30 ans.

Beaucoup d’employé·e·x·s estiment ne pas avoir accès à des opportunités de développement équitables

Seuls 44 % des talents féminins et 61 % des talents masculins sont d’accord ou tout à fait d’accord pour dire qu’ils disposent d’opportunités de développement équitables, transparentes et attractives. En d’autres termes, 56 % des talents féminins n’ont pas de perspectives concrètes d’évolution. Pire encore, 26 % des femmes et 22 % des hommes ne sont pas d’accord ou tout à fait pas d’accord pour dire qu’ils ont accès à des opportunités de développement équitables, transparentes et attractives. Si un quart de la main-d’œuvre se sent exclu de l’accès et des opportunités, il y a de fortes chances que des talents méritants soient négligés. – L’atteinte d’une méritocratie est encore loin.

Perception de l’équité et de la transparence des opportunités de développement selon le genre (Workplace Culture Survey, 2025)

Les employé·e·x·s estiment que l’égalité des chances d’évolution de carrière doit être améliorée

Que pourraient mieux faire les entreprises en matière de DEI, selon leurs employé·e·x·s ? Avec 74 %, l’égalité des chances d’évolution de carrière est de loin la réponse la plus citée, classée en première position pour les femmes et en troisième pour les hommes. Cela montre que le manque de méritocratie impacte davantage les femmes que les hommes, même si tous les genres sont concernés.

Aspects que les employé·e·x·s considèrent que les entreprises pourraient améliorer en matière de DEI (Workplace Culture Survey, 2025)

« Les processus de promotion sont difficiles à comprendre car ils manquent totalement de transparence. Certains pensent : « Si vous devez demander une promotion, c’est que vous n’êtes pas prêt·e·x ». » – Participant·e·x à l’enquête Workplace Culture Survey, 2025

Si tout le monde se sent inclus, écouté et traité équitablement, les entreprises peuvent retenir les meilleurs talents tout en améliorant performance et innovation

  • Les employé·e·x·s qui se sentent valorisé·e·x·s, traité·e·x·s équitablement et dont les besoins sont pris en compte sont à la fois plus loyales / loyaux et plus innovant·e·x·s! (Jo & Shin, 2025 ; Rogers, 2018)
  • Une culture d’inclusion est nécessaire pour que tous les employé·e·x·s puissent être authentiques au travail et mobiliser pleinement leurs talents et contributions uniques (Rogers & Ashford, 2014). En termes simples, sans inclusion, on ne bénéficie pas des avantages d’un système basé sur le mérite.

Qu’en est-il de l’inclusion ?

25 % des talents masculins et 32 % des talents féminins se sentent exclus·e·x·s.

Autrement dit, seuls 75 % des hommes et 68 % des femmes se sentent inclus·e·x·s dans leur organisation. C’est problématique, car l’inclusion et le sentiment d’appartenance stimulent l’engagement et la loyauté des employé·e·x·s. Clairement, le leadership inclusif est pertinent pour tous les employé·e·x·s. Parmi les répondants, 83 % des hommes sont d’accord ou tout à fait d’accord pour dire qu’ils se sentent valorisés et respectés par leur cadre, contre 76 % des femmes. Il reste donc beaucoup de progrès à faire.

 

Perception de l’inclusion selon le genre (Workplace Culture Survey, 2025)

La méritocratie inclusive porte ses fruits !

Les entreprises qui promeuvent une méritocratie inclusive obtiennent le meilleur des deux mondes : elles recrutent et promeuvent les meilleurs talents tout en ayant des employé·e·x·s engagé·e·x·s et loyales / loyaux.

 

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